Paroisse St-Joseph et Paroisse St-Paul – Genève
Chers frères et sœurs,
Tous au désert ! Dimanche
dernier, nous levions nos regards vers le ciel : « Ah si tu déchirais
les cieux et venais nous sauver ! » - Aujourd’hui le Seigneur nous
répond en nous convoquant au désert, c’est là que nous le rencontrerons. Mes
amis : attention ! Je ne travaille pas pour une agence de voyages et
je ne suis pas en train de vous proposer une promenade romantique à dos de
chameaux pour admirer et photographier les ondulations des sables du Sahara ou du Wadi Rum en
Jordanie. En Palestine, le désert c’est plutôt de la caillasse et quelques
buissons rabougris. Alors pourquoi cette destination obligatoire ? Pour
rechercher le silence ? Même pas.
En effet, pour la bible, le désert est d’abord le lieu de la parole
(avec un jeu de mots en hébreu entre le MIDBAR (désert) et le DABAR (parole), parce que c’est le lieu de l’écoute de la part
d’Israël. C’est là, dans l’aridité du Sinaï que Dieu s’est révélé à Moïse,
c’est là que le peuple rassemblé au pied de la montagne a dit son OUI à
l’Alliance. C’est pourquoi le désert reste le lieu des fiançailles entre Dieu
et son peuple. C’est donc là qu’il nous attend nous aussi pour se révéler, pour
toucher notre cœur. A nous de rechercher ce que sera notre « désert »
en cet Avent : peut-être prendre un peu de distance par rapport aux 1001
distractions et connections pour ne pas rater ce rendez-vous de Noël entre la
discrétion de Dieu et nos vies bousculées et agitées. Saurons-nous rechercher
ce lieu de silence et d’écoute comme écrin pour la Parole que Dieu veut nous adresser ?
Peut-on préciser en quelques mots
ce que le Seigneur, au désert, cherche à dire pour nous préparer à sa
venue ? Je résumerais le message du prophète Isaïe et de Jean-Baptiste le
dernier des prophètes en deux mots : TENDRESSE et RIGUEUR. Tendresse :
« consolez mon peuple » - Rigueur : « un baptême de conversion ».
Tendresse et rigueur : les deux ensemble, jamais l’un sans l’autre. C’est
d’autant plus nécessaire de le redécouvrir que cette tension marque le
christianisme contemporain. La tendance actuelle associe volontiers la bonne
nouvelle évangélique à la tendresse (ce qui n’est pas faux…), au pardon mais au
risque parfois de se tailler une religion sur mesure, de perdre de vue le
combat spirituel et la vérité à honorer dans la confession de foi, dans les
situations humaines ; le mot « amour » couvre parfois un laxisme
dépourvu d’exigence ; difficile de grandir dans ces conditions. La
tentation inverse consiste à tellement insister sur la vérité, le dogme, la
rigueur morale (souvent d’ailleurs pour les autres…) que l’Evangile n’est plus une bonne nouvelle,
et le recours à la violence au moins verbale marque cet intégrisme chrétien
puritain qui amidonne l’évangile.
Aujourd’hui nos deux prophètes
(Isaïe et Jean-Baptiste) se complètent pour nous dire à la fois la tendresse de
Dieu et la rigueur, le sérieux de notre réponse. Le paradoxe est que le message
de tendresse nous vienne de l’Ancien Testament et celui de la rigueur du seuil
du Nouveau Testament.
« Consolez, consolez mon
peuple » : ces mots nous viennent du cœur de Dieu. Rappelez-vous,
c’est aussi le début du « Messie » de Haendel : « Comfort
my people… », cet Oratorio que le musicien composa en seulement 22 jours à
la fin de l’été 1741 alors qu’il était sorti d’une attaque d’apoplexie puis de
plusieurs mois de terribles épreuves morales et financières. Et voilà que du
fond du gouffre, de cette épreuve, de ce désert aride, jaillit un oratorio
magnifique, son chef d’oeuvre. Emu, il confessera : « Dieu était à mes
côtés ». Ce Dieu de résurrection et de vie, c’est le bon berger dont parle
Isaïe et que Jésus incarnera. Celui qui non seulement rassemble son troupeau et
le fait paître, mais celui qui les porte sur son cœur ! Oui Isaïe a
raison, ce message-là il faut le proclamer du haut d’une montagne, car c’est
une bonne nouvelle pour Jérusalem, une bonne nouvelle pour l’Eglise, une bonne
nouvelle pour notre monde. Notre Dieu est un berger, un bon berger, et il a du
cœur.
S. Marc a choisi d’ouvrir son
évangile par l’appel d’Isaïe : une « voix crie dans le désert ». Il identifie cette
voix à celle de Jean-Baptiste qui proclame lui aussi dans le désert de Juda un
baptême de conversion pour le pardon des péchés. La tenue de Jean appuie ses
paroles : un peu moins que le nécessaire… Tunique de bête, ceinture de
cuir, sauterelles et miel sauvage. Alors pourquoi est-ce que les habitants de
Judée et de Jérusalem se ruaient-ils au désert, près du Jourdain, auprès de cet
ascète hirsute et tonitruant ? Parce qu’ils avaient compris que leur pays
était dans une impasse, qu’ils avaient besoin d’un renouveau, d’un nouveau
souffle. Et si un constat semblable nous attirait nous aussi vers un lieu de
solitude pour nous préparer à la venue du Messie et pour l’accueillir
généreusement… Habituellement, pour la visite d’un chef d’Etat ou du Pape, on
fait de grands travaux ou au minimum on repeint les façades… Pour la venue de
Dieu en Jésus, un grand œuvre est tout aussi nécessaire, et si possible pas
seulement de façade ! Jean-Baptiste en a tellement conscience qu’il
appelle ce peuple en attente à la conversion. Son baptême à lui est un baptême
d’eau, mais bientôt Jésus baptisera dans l’Esprit Saint : comprenez
« dans un souffle puissant ».
Jésus va honorer de sa présence
cette grave prédication et cette onéreuse préparation. Il va rejoindre tous ces
croyants en déplacement au désert, ces pèlerins d’absolu. Jésus va commencer
son ministère au milieu d’eux, parce que c’est là qu’il va trouver une attente,
une écoute, une disponibilité.
Mais Jean-Baptiste sera plus tard
surpris par Jésus. Il s’attendait à plus de rigueur justicière, il sera
déconcerté par sa tendresse envers les pécheurs. Puissions-nous être surpris
nous aussi, et en bien par la venue de Jésus : la tendresse de Dieu vient
à nous, mais pour la percevoir et la recevoir, il nous faut nous aussi nous
déplacer, bouger, changer de cap, écouter. En un mot nous convertir. C’est
toute la portée de ce deuxième dimanche de l’Avent : beaucoup de tendresse
de la part de Dieu, un peu de rigueur de notre part ! La disproportion
sera toujours en sa faveur. Et S. Paul de préciser que si Dieu se fait si
discret, ce n’est pas qu’il serait en retard, c’est seulement qu’il donne à
chacun le temps de se convertir, le temps de découvrir l’immense tendresse de
Dieu pour nous.
fr.
Jean-Michel Poffet op
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