jeudi 25 octobre 2012

L’évangélisation trouve sa joie et sa force dans la contemplation : 3 défis à relever




Etudier, prêcher, et fonder des communautés. Tels sont les objectifs que saint Dominique donna aux premiers frères qu’il envoyait « évangéliser ». Il exprimait ainsi non pas un programme d’évangélisation mais une dynamique pour réaliser l’intuition fondatrice des Ordres mendiants : l’évangélisation trouve sa joie et sa force dans la contemplation. Je voudrais illustrer cela en évoquant trois défis pour l’évangélisation aujourd’hui.

1. Le défi de l’étude et du dialogue avec les sciences et les savoirs Dominique envoie ses frères pour étudier, d’abord, et pas pour enseigner. Il les envoie étudier comme mendiants de la vérité. Etudier, et apprendre comment le mystère de la Révélation scruté dans l’Ecriture et la Tradition peut conduire la raison humaine à la contemplation. Mais étudier c’est aussi apprendre des autres sciences, dialoguer avec tous les autres chercheurs de vérité, avec estime et confiance plutôt que suspicion. Aujourd’hui plus que jamais, c’est une urgence pour la théologie et pour l’Eglise de donner figure à cette amitié entre la foi et la science proclamée par le Concile. En écoutant les hommes de sciences, le théologien découvre la trace de la confiance de Dieu qui associe la liberté de l’homme, sa capacité morale et sa raison, à son œuvre de création continuée qui soutient le monde. Qu’est-ce que Dieu nous apprend de lui-même à travers ces nouveaux savoirs ? Dans le difficile discernement des savoirs qui changent si profondément le rapport de l’homme à lui-même et au monde, comment lire le mystère de la Loi nouvelle qui habite et garde la liberté ? Albert le Grand parlait de la recherche de la vérité dans la douceur de la fraternité. Comment dire mieux les enjeux d’un dialogue où Dieu fait confiance aux hommes pour chercher ensemble à penser un « monde en commun », habitable par tous et vrai chemin pour l’homme ? Qui sait, à la table de ce débat pourrait un jour s’inviter le mystérieux pèlerin d’Emmaüs qui seul peut accomplir l’espérance de la raison ?


2. Le défi de la liberté Bien sûr, il faut prêcher aux assemblées de croyants, et ouvrir avec eux les voies pour que la Parole et la tradition soutiennent leur foi et leur existence. Mais prêcher la venue du Royaume nous presse aujourd’hui de sortir pour aller à la rencontre de ceux qui ne viennent pas, ou plus, dans les Eglises. Et le faire comme Jésus sur les chemins de Palestine, manifestant par la fraternité l’amitié de Dieu avec les hommes. Il s’agit aujourd’hui moins d’enseigner que d’entrer en conversation avec ceux à qui on aimerait, un jour, pouvoir présenter un ami. Humblement, il faut donner du temps pour écouter les questions qui taraudent la liberté de l’homme : la souffrance et la mort, la foi et le doute, la générosité morale et la fragilité de la volonté, la peine de ceux qui se sentent jugés et exclus, le découragement de ceux qui se sont éloignés sans forcément avoir perdu la foi. Le prêcheur, ébloui, découvre que, selon sa promesse, Il nous précède en Galilée et que Lui fait confiance à cette fragile liberté. Prêcher, c’est se laisser enseigner par la patience de Dieu qui s’approche avec un tel respect pour appeler chacun à mettre sa liberté à la hauteur de sa dignité. La force de l’évangélisation se puise dans la contemplation du mystère de la miséricorde. Et c’est une joie de découvrir qu’en ce mystère se scelle la fraternité entre les hommes qu’Il n’appelle plus serviteurs mais amis et à qui lui-même fera connaître tout ce qu’Il a reçu du Père.


Le défi de la fraternité Ne sont-ils pas des hommes ? Les communautés religieuses féminines et masculines célèbrent cette espérance qu’une telle fraternité de la miséricorde et du pardon peut renverser l’ordre du monde. Elles croient que la grâce de l’Esprit de Dieu peut transfigurer la réalité humaine de la fraternité en « sacrement » de l’amitié de Dieu avec les hommes. Elles veulent en être le signe. A cause de cette espérance, et malgré leur faiblesse, ces communautés ont la conviction qu’il leur faut élargir cette communion en liant leur destin à celui des oubliés du monde. Ne sont-ils pas des hommes ? « Le combat pour la justice et la participation à la transformation du monde nous apparaissent pleinement comme une dimension constitutive de la prédication de l’Evangile » (Synode des évêques, 1971). Il y a cinq cents ans, des frères sur l’île d’Hispaniola, contre l’aliénation d’une culture dominante, ont pris conscience de cette vérité. Leur prédication fut prophétique. Elle donna lieu à un débat où des théologiens contribuèrent à énoncer le droit des gens, ce qui ne fut pas la moindre des transformations du monde. L’étude contemplative, alors, se trouvait à l’école de la Croix.


fr. Bruno Cadoré OP

Maître de l'Ordre des Prêcheurs
Synode des Evêques, Citée du Vatican
15 octobre 2012

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