Les années se suivent et ne se ressemblent pas. Qui aurait imaginé à Port-au-Prince l’an dernier une fête de Pâques 2010 sous le signe des décombres ? Entourés de ruines, les Haïtiens chrétiens célèbrent la Passion et la Résurrection du Seigneur Jésus.
Presque 300 000 personnes sont mortes ou portées disparues depuis le 12 janvier, tandis que 600 000 habitants ont quitté la capitale pour d’autres provinces où leurs familles ont du mal à les nourrir. Le problème urgent de nourriture et de médicaments s’est ainsi étendu à tout le pays.
Les répliques sismiques - plus de soixante-quinze en moins de trois mois - ont diminué en fréquence et en force. La peur demeure cependant dans les corps à la mémoire vive. La moindre vibration rappelle les cruels tremblements du séisme qui en trente secondes plongèrent la cité dans la désolation, les cris et les larmes. D’ailleurs, le calcul des probabilités des scientifiques fait craindre le pire et pendant des années[1].
Port-au-Prince compte maintenant de nombreux camps de réfugiés qui abritent de 1000 à 80 000 personnes. Les espaces libres, comme les places, les écoles ou les terrains de sport, sont occupés désormais par les sinistrés. Faute de tentes de campagne en nombre suffisant, des milliers de familles s’abritent avec des bouts de plastique ou de tôle. L’arrivée de la saison des pluies rendra la situation encore plus difficile. Au problème quotidien de la recherche de nourriture, distribuée uniquement aux femmes et sous le contrôle des militaires, s’ajoute celui de la violence et des viols. Souvent, des tirs de fusils et de mitraillettes percent le silence de la nuit. Des ONG recherchent dans les camps et dans les quartiers les enfants devenus orphelins et exposés à tous les dangers.
Les Conférences internationales en faveur de la reconstruction d’Haïti se succèdent, promettant des millions de dollars. Le langage à tendance inflationniste des médias ose parler de « réinventer Haïti ». Néanmoins, nombreux sont les Haïtiens qui s’interrogent sur l’utilisation de l’aide. Dès avant le tremblement de terre, des manifestations et des articles de presse exigeaient des services autres que l’armée (MINUSTAH) et les études des fonctionnaires de l’ONU. Marqués par le chômage (70% dans la capitale), les jeunes, qui représentent la moitié de la population du pays, aspirent à trouver du travail grâce à l’éducation et à la création d’entreprises. 80% des Haïtiens diplômés de l’enseignement supérieur vivent à l’étranger alors que leurs compétences seraient précieuses dans cette nouvelle phase de reconstruction.
À l’heure actuelle, tout le monde attend les orientations du gouvernement sur trois points : 1) les études géologiques ; 2) le nouveau plan d’urbanisme, car il n’est pas du tout sûr que les bâtiments administratifs et scolaires soient reconstruits aux mêmes endroits dans le centre-ville ; 3) le nouveau code de la construction qui doit intégrer les normes parasismiques. La réussite de ce projet dépendra de la remise en cause des comportements et des mentalités préscientifiques et anarchiques qui ont multiplié les dégâts le 12 janvier. La reconstruction passe par le respect des lois et du bien commun.
Il convient aussi de parler non seulement de la reconstruction matérielle mais aussi de la reconstruction de l’homme haïtien. Des cellules d’aide psychologique ont été mises en place pour faciliter la verbalisation des expériences douloureuses et le dépassement de l’angoisse.
La « relecture » des événements
L’Église organise des réunions de « relecture » de l’événement du 12 janvier. L’occasion y est donnée à chacun de s’exprimer sur le ressenti et sur les pensées suscités par la catastrophe. Il est des sentiments communs comme l’impression de vulnérabilité et d’impuissance. D’aucuns se croyaient riches et en sécurité et voilà qu’ils ont tout perdu d’un coup. Alors que des milliers de blessés criaient sous les décombres, les passants ne pouvaient très souvent rien faire face aux tonnes de béton. Les élèves sont morts devant leurs professeurs sans moyens pour les sauver ; des parents sont décédés pris en tenailles par les décombres sans que leurs proches puissent les délivrer.
La fragilité a créé chez certains un sentiment de vide intérieur et la peur des maisons en dur. Les souvenirs du 21 janvier à 16 h 53 restent inscrits dans les corps de manière indélébile. La moindre réplique réveille une peur profonde. « Pourquoi sommes-nous touchés à ce point ? » ; «Que faut-il faire?» ; «Qu’est-ce que Dieu attend de nous?» Voilà quelques réactions partagées par un grand nombre de victimes.
Il ne faut pas oublier non plus les blessures morales. Des scènes de pillages ont eu lieu alors que la population restait sous le choc. Des maisons familiales, des églises et des couvents ont été attaqués par des bandits. Des religieuses ont été volées par des gens qu’elles avaient aidés sans oublier les injures et les sacrilèges. Quatre mille détenus des prisons de Port-au-Prince se sont enfuis le soir même du séisme sans que les murs se soient écroulés et sans l’opposition des policiers et des forces de l’ONU qui ont quitté les lieux. Parmi ces prisonniers figuraient de redoutables criminels. En Haïti, pour dire qu’une affaire est enterrée on utilise l’expression « l’enquête se poursuit ». Aucune réponse satisfaisante n’a encore été donnée à cet événement trouble et troublant. La reconstruction d’Haïti passera aussi par la guérison éthique dans une société gangrenée par la corruption comme l’avaient déjà dénoncé les évêques haïtiens dans leur message de Noël dernier.
L’annonce de la décentralisation et des plans d’aide est reçue parfois avec scepticisme : « La même chose avait été dite lors des inondations aux Gonaïves en août 2008 et rien n’a bougé. » Le sentiment d’échec plonge aussi certains dans le désespoir et la passivité : « Il n’y a pas les ressources morales nécessaires pour changer quelque chose. »
Parmi les réactions au tremblement de terre, un bon nombre sont positives : désir de partager au lieu de thésauriser, souhait de travailler ensemble plutôt que de vouloir réussir tout seul, sensibilité envers les besoins d’autrui, écouter avec patience au lieu de condamner trop vite, relativisation des programmes établis qui ont été renversés par l’événement, égalité entre riches et pauvres, religieux et laïcs car tous frappés par le même malheur… Le fait que tout le monde dorme « à la belle étoile » a rapproché les personnes. L’omniprésence de la mort a poussé les cœurs à l’humilité. Personnellement j’ai reçu de beaux témoignages de conversion : abandon des pratiques animistes du vaudou pour retourner à l’Église catholique, retournement moral par l’abandon de l’adultère, redécouverte de la foi.
Le capital humain
Le pays a perdu une bonne partie de son capital : universités, écoles, hôpitaux, églises, ministères, banques, etc. Plusieurs bâtiments symboliques se sont effondrés comme le Palais national et la cathédrale. De nouveaux symboles sont à créer. Cela peut être l’occasion d’accroître le capital humain. Saint Paul, parlant probablement par expérience, avait déclaré : « Tout concourt au bien de ceux qui cherchent Dieu. » L’homme haïtien sort blessé de cette épreuve mais il peut aussi en tirer profit pour grandir en profondeur dans sa foi et dans ses relations humaines au point peut-être de pouvoir dire : « Heureux séisme qui me valut un tel changement ! » pour paraphraser saint Augustin qui s’était exclamé : « Heureuse faute qui nous valut un tel Sauveur ! »
Beaucoup se disent que si Dieu les a laissés vivants c’est en vue d’une mission à accomplir et ils cherchent à discerner cette volonté divine pour mieux vivre. Les blessés peuvent devenir des soignants. En se posant les questions fondamentales sur le sens de la vie et de la mort, l’homme haïtien peut devenir plus fort intérieurement, plus solidaire et meilleur.
Mystère pascal de mort et de résurrection
Hier, fête du Jeudi saint, nous avons célébré la messe chrismale sur le parvis de la cathédrale en ruines. La célébration pascale de la mort et de la résurrection du Christ revêt une importance accrue dans ce contexte d’effondrement. La foi en la résurrection met l’homme debout. L’effondrement moral et spirituel menace les sinistrés fatigués après presque trois mois de lutte pour survivre. N’oublions pas la prière de ceux qui sont morts sous les décombres après une longue agonie. Beaucoup parmi eux, à l’image du Christ en croix, ont prié pour Haïti et pour le monde. Aujourd’hui le Christ nous accorde sa grâce en réponse à leur sacrifice et à leur prière. Puisse la joie pascale renouveler nos forces et notre espérance en une « terre nouvelle » et un « homme nouveau » !
[1] Le 25 février 2010, l'US Geological Survey (USGS) a fourni des prévisions pour les tremblements de terre à venir à Port-au-Prince.
La probabilité d'avoir un tremblement de terre d'une magnitude supérieure ou égale à 5 est de 55% dans les 30 prochains jours, 80% dans les 90 prochains jours et 95% sur une période d'un an.
La probabilité d'avoir un tremblement de terre d'une magnitude supérieure ou égale à 6 est de 7% dans les 30 prochains jours, 15% dans les 90 prochains jours et 25% sur une période d'un an.
La probabilité d'avoir un tremblement de terre d'une magnitude supérieure ou égale à 7 est de 1% dans les 30 prochains jours, 2% dans les 90 prochains jours et 3% sur une période d'un an.
La probabilité d'avoir un tremblement de terre d'une magnitude supérieure ou égale à 6 est de 7% dans les 30 prochains jours, 15% dans les 90 prochains jours et 25% sur une période d'un an.
La probabilité d'avoir un tremblement de terre d'une magnitude supérieure ou égale à 7 est de 1% dans les 30 prochains jours, 2% dans les 90 prochains jours et 3% sur une période d'un an.
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